« Bâtir l’équipe de France de l’Automobile », Luc Chatel à Ingénieurs de l’Auto

28 juin 2018 - 6 mois après sa prise de fonction à la tête de la PFA, Luc Chatel fait le point pour Ingénieurs de l’Auto sur le nouveau contrat de filière, les défis à relever pour la voiture autonome, l’électrification et la montée en compétences. C’est aussi l’occasion pour lui de s’exprimer sur le rôle de la SIA et plus globalement sur l’écosystème.

Vous avez contribué à mettre en place la PFA il y a une dizaine d’années et vous en assurez la présidence aujourd’hui… Avec le recul, comment comparez-vous les deux époques ?

L.C. : Il y a dix ans, nous avons vécu en 2008-2009, la plus grave crise que le secteur automobile ait jamais connue. N’oublions pas que General Motors a fait faillite ! Cela aurait pu être le cas de l’industrie française, si l’Etat n’était pas intervenu. Des usines se sont arrêtées du jour au lendemain. Il a fallu bâtir un plan de soutien, à la fois sur l’offre et la demande, pour sauver la filière.

Dix ans après, l’industrie automobile française s’est modernisée, a gagné en compétitivité et s’est mondialisée. Nos grands groupes sont très performants. Renault, grâce à l’alliance avec Nissan, est le numéro 1 mondial ; PSA a racheté Opel ; Valeo présente des véhicules autonomes au CES de Las Vegas ; Michelin enregistre des performances inégalées, de même que Faurecia ou Plastic Omnium. Donc, nous avons une industrie automobile performante et qui a sa place dans le cercle très fermé des grands industriels mondiaux. La vraie question est celle de sa capacité à affronter les mutations sans précédent que connaît le secteur. Ce que je constate, c’est que l’innovation a permis aux industriels de se réinventer en permanence. C’est cela qui a sauvé notre industrie.

Lorsque vous avez présenté les vœux de la filière, en janvier, vous avez parlé de votre souhait de constituer une Equipe de France. Avez-vous le sentiment d’y être arrivé ?

L.C. : C’est un combat permanent, mais mon intuition est qu’il n’y a pas d’avenir sans collectif, sans décloisonnement, sans capacité à chasser en meute. Même le plus grand des constructeurs, même le plus grand des équipementiers ne peut survivre seul. Ils ont bien compris, les uns et les autres, la nécessité de jouer collectif. La PFA, sur l’ensemble des sujets qui relèvent du pré-compétitif, doit jouer son rôle en fédérant cette équipe de France : non pas définir un consensus mou, mais se retrouver autour d’engagements forts. Avec, par ailleurs, cette capacité à créer de la solidarité. Je veux saluer l’engagements de nos grands industriels, dans le contrat de filière, au service des programmes d’amélioration de la compétitivité des sous-traitants de rang 2 et 3. C’est tout le sens de la création de l’accélérateur BFI-France automobile. N’oublions pas que la filière représente au total 4 000 entreprises, dont des PME qui, aux côtés des grands groupes, créent de la richesse.

Ce contrat de filière 2018/2022 a-t-il été facile à négocier avec l’Etat ?

L.C. : Si on avait dit, il y a 6 mois, qu’on arriverait à mettre autour d’une même table le ministre de l’Ecologie, le ministre de l’Economie et la ministre des Transports pour partager, avec chacun des dirigeants de notre industrie, une même vision d’avenir de l’automobile, je pense que beaucoup auraient douté. Or, ce contrat est d’abord une vision partagée. Il exprime la conviction que les mutations considérables que va connaître l’industrie automobile ces prochaines années, peuvent être perçues comme une menace, mais constituent autant d’opportunités pour la filière française. Au cœur de ce contrat de filière, il y a une ambition : la France a inventé l’automobile au XIXe siècle, en a été un acteur majeur au XXe , elle peut figurer parmi les leaders de la mobilité du XXIème. Dans ce contrat de filière, nous avons justement défini quelles étaient les clés du succès. Je veux insister sur l’énorme travail collaboratif qui a été mené en amont, avec l’ensemble des acteurs, dans toute leur diversité, et qui nous a permis de définir des positions communes, de nous retrouver autour d’engagements forts, sur quelques grands sujets extrêmement structurants.

Le véhicule autonome est notamment l’une des priorités…

L.C. : La PFA est dans son rôle : constituer une équipe de France de la mobilité autonome. Le consortium que nous constituons regroupe à la fois des industriels de l’automobile – notamment PSA, Renault et Valeo – mais aussi des acteurs du transport – comme Keolis, Transdev, la RATP et la SNCF – les nouveaux acteurs de la mobilité – Navya, easy mile, Twinswheel – et l’excellence académique avec Vedecom et SystemX. C’est tout l’écosystème de la mobilité autonome qui se met en place avec, pour horizon, le lancement d’expérimentations à grande échelle.

Après l’appel à manifestation d’intérêt lancé par l’Etat via l’ADEME, l’appel à projets doit être aussi l’occasion pour nous de fédérer les territoires. Quand on voit, par exemple, que la région Ilede-France est prête à mettre 100 millions d’euros sur la table, nous nous devons d’être au rendez-vous. Tout l’intérêt de la PFA est de pouvoir fédérer ses adhérents sur des positions communes pour ensuite aller négocier des partenariats extérieurs.

Il est question aussi dans le contrat de l’électrification, avec des objectifs qui ont été très commentés…

L.C. : Il est vrai que l’électrification est l’un des enjeux, mais pas le seul puisque nous avons beaucoup insisté sur le principe de neutralité technologique. À chacun son métier. Les pouvoirs publics fixent les règles et les normes. Les industriels innovent, apportent des solutions technologiques et produisent les véhicules. En matière d’électrification, le contrat de filière réunit l’industrie et l’Etat autour d’un engagement réciproque : la multiplication par 5 des ventes et 100 000 bornes de recharge –un effort considérable de la part des deux parties : au total, un parc d’un million de véhicules 100 % électriques et hybrides rechargeables. C’est une ambition, mais elle est réaliste. J’ai la conviction que nous devons faire de l’agenda environnemental, un levier de croissance pour l’industrie automobile.

La France peut-elle s’inscrire dans une filière européenne de batteries ?

L.C. : Nous voyons bien que l’idée est en train d’émerger, à la fois chez les industriels et chez les pouvoirs publics. Il est clair que l’électrification du parc ne doit pas se traduire par un transfert massif de valeur ajoutée vers l’Asie : c’est tout le sens des efforts de R&D que l’Europe doit consentir pour travailler sur une nouvelle génération de batteries ; c’est tout l’objet d’un rapport que nous avons fait conjointement avec la Chimie et le CEA. J’ajoute que, dans le contrat de filière, nous faisons également une place pour le véhicule hybride et l’hydrogène.

Justement, comment avez-vous accueilli les annonces de Nicolas Hulot avec son plan sur l’hydrogène ?

L.C. : Au sein de la filière, de nombreux industriels travaillent sur cette solution. Elle est indiscutablement porteuse d’espoirs et d’avenir. Il faut l’intégrer dans le mix futur et favoriser des coopérations. Le soutien des pouvoirs publics est le bienvenu.

Vous pensez qu’il y a encore un avenir pour les moteurs thermiques ?

L.C. : Cessons de jouer en défensive, en particulier par rapport à l’agenda environnemental. L’industrie automobile n’est pas le problème, c’est la solution. Lorsque nous insistons sur le principe de neutralité technologique, nous insistons sur l’exigence de toujours faire le pari de l’innovation. Nous serons des acteurs de la lutte contre le réchauffement climatique et de l’amélioration de la qualité de l’air tout simplement parce que nos ingénieurs seront apporteurs de solutions technologiques.

Et qu’allez-vous faire pour accompagner les sous-traitants qui doivent faire face à un déclin rapide du Diesel ?

L.C. : Nous avons identifié tous les dispositifs qui existent en la matière, ainsi que les crédits qui pourront être mobilisés en cas de crise sur un territoire. Face aux mutations auxquelles nous sommes confrontés, le mot clé, c’est l’anticipation. C’est l’un des volets majeurs du contrat de filière, à travers la réflexion sur la formation, l’emploi et les compétences. L’objectif est d’anticiper ces changements au niveau des bassins de vie et de mettre à disposition des entreprises concernées des boîtes à outils pour se transformer. J’ajoute que la PFA a recruté une spécialiste des questions de formation et d’emploi. L’industrie automobile n’est pas le problème, c’est la solution.

Le contrat de filière fait mention des besoins, avec notamment le recrutement de 8 000 ingénieurs prévu d’ici 2022. Comment faire pour attirer les talents vers l’automobile ?

L.C. : C’est un vrai défi pour la filière, et un défi d’aujourd’hui, car nous n’arrivons pas à pourvoir tous les besoins. C’est tout l’enjeu de l’attractivité de la filière, autour d’un message clé : la mobilité, c’est l’avenir. Un message qui doit être au cœur de l’esprit du Mondial de 2018, qui ne sera plus seulement un salon de l’auto, mais le Mondial de l’automobile du futur et de la mobilité, avec notamment Mondial Tech et toutes les start-ups qui présenteront leurs innovations. Mondial Tech accueillera justement notre opération MonJob@FuturAuto, à l’initiative de la SIA. L’occasion de souligner à quel point la filière a un avenir avec des emplois très qualifiés et de nouvelles technologies. Il s’agit d’inventer la mobilité de demain avec de la créativité et le talent des ingénieurs.

Justement, quel rôle peut jouer selon vous la SIA dans cet écosystème en pleine évolution ?

L.C. : Je considère que la SIA, comme société savante, peut avoir un rôle majeur. D’abord, elle anime un réseau qui est un atout considérable pour la filière. Les ingénieurs de l’automobile, c’est une part du génie français. La France ne serait pas la France, sans ses écoles d’ingénieurs, ses capacités à faire bouger les lignes, à inventer, à innover. Ensuite, la SIA est une tête pensante qui peut être un agitateur d’idées dans le cadre d’une industrie automobile qui a été parfois conservatrice. Je me suis rendu à Movin’On, l’événement organisé par Michelin à Montréal, et j’y ai entendu Bertrand Piccard dire : « n’écoutez pas ceux qui disent que ce n’est pas possible ». Ce que j’attends de la SIA, au sein de la filière automobile, c’est une capacité à penser le futur.

L’écosystème français est aujourd’hui très large avec des pôles de compétitivité, des IRT, ainsi que de nombreux laboratoires, est-il possible de mieux fédérer ces initiatives ?

L.C. : On ne va pas se reprocher une telle vitalité : c’est une richesse, le signe du dynamisme de cette filière. Est-ce qu’il faut optimiser et améliorer la performance de l’écosystème français ? Faut-il plus de lisibilité ? Plus de coordination ? Bien sûr. Je crois à la capacité de dégager des synergies, à la définition précise des missions de chacune des structures, et c’est ce que nous faisons à la PFA depuis mon arrivée. Nous avons mis en place une très grande coordination avec le CCFA et la FIEV, avec des ressources mutualisées. Chacun est dans son rôle : il y a une tête de filière qui fixe un certain nombre d’orientations – technologies d’avenir, compétences, compétitivité et expression commune de la filière – et vous avez ensuite un écosystème dans toute sa diversité, sa vitalité, sa richesse d’initiative.

Cette approche change-t-elle le regard que l’on peut porter sur la filière automobile ?

L.C. : Oui, et le fait qu’elle ait été la toute première filière à signer son contrat stratégique avec le gouvernement a envoyé un signe fort. Je suis frappé par le nombre d’offres de services et de collaborations que j’ai reçues depuis, de la part d’autres secteurs comme ceux de l’énergie ou de la chimie. Il y a une envie de travailler avec la filière automobile, parce qu’elle s’est fixée un cap et une ambition.